Rosine s'était endormie sous le grand tilleul,

Rosine s'était endormie sous le grand tilleul, elle était déçue, elle avait rêvé qu'elle volait très loin, très haut, elle avait rêvé de légèreté mais elle était là, les deux pieds sur le tabouret dans la lourdeur de son corps car elle ne faisait pas de sport. Elle aurait aimé aller à la piscine mais son maillot de bain était resté à Lyon.
Ils n'allaient jamais au cinéma, lui ne voulait pas affronter les salles obscures, elle aurait pu aller seule mais elle avait oublié son existence. Ils n'allaient jamais à l'hôtel, au restaurant, aux fêtes, aux bals. Ils n'allaient jamais au théâtre, ni aux expositions, il ne voulait pas gaspiller l'argent, il en avait besoin pour aménager sa maison.
Ils ne partaient jamais en vacances à la mer, elle venait ici à la campagne ; ils ne recevaient plus d'amis en dehors de la grande famille et des enfants de chacun d'eux.
Il était le maître des images et des informations avec la télévision jour et nuit, comment pouvait-il emmagasiner ce flot de paroles et d'images, dans quels coins de sa tête pouvait-il engranger tous ces documents ?
Elle était la maîtresse du désert, le flot d'images ne s'enregistrait pas en elle, elle gardait les paroles utiles mais les images ne se fixaient pas en elle !
On peut vivre sans cette diaporama qui était un enchantement mais qui l'empêchait de fabriquer en elle son propre paysage, elle le composait avec ce qu'elle voyait quotidiennement, ce qu'elle entendait ou avait entendu et elles essayait d'apprivoiser toutes ces voix qui demeuraient en elle et aussi les sensations actuelles ou retrouvées dans son passé.