6 02 1968
J'ai demandé le permis de mourir, j'ai fini ma route, je ne veux plus souffrir moralement, j'ai assez supporté les deuils de ma vie qui ont commencé si tôt. Mon deuil le plus cuisant a été de quitter l'école à douze ans alors que j'étais trop curieuse de tout savoir; il fallait aider mon père aux travaux des champs, aider à nourrir mes quatre petites soeurs et le petit frère de deux ans. Mes deux soeurs étaient moins affamées de culture mais c'est elles qui sont allées en pension au Sacré coeur. J'étais trop jeune pour ces gros travaux mais on se fait à tout et puis mon père travaillait doucement et péniblement et parfois j'avais le temps de lire en guidant les boeufs pour labourer.
Ma mère faisait tout le reste et gardait les chèvres et les vaches dans la colline boisée avec mes soeurs qui gardait le petit frère dans son panier d'osier. Cette colline c'était le lieu de promenade de l'instituteur, des chasseurs, des jeunes hommes quand ils n'étaient pas aux champs, le curé, lui, se promenait en lisant son bréviaire mais il n'allait jamais sur la colline et ne dépassait jamais le périmètre qu'il s'était imposé! Vie dure et paisible, c'était le dimanche seulement qu'on descendait au village pour entendre la grand'messe chantée; ce jour on avait droit au bain et aux vêtements du dimanche!