1928

ça bouge au quartier de Choriol, Monsieur Lamopau a acheté des terres et une vieille maison qu'il fait reconstruire avec des artisans et avec ses fils. Quand on passe en promenade, on voit l'avancement des travaux : le toit et la charpente sont refait à neuf ainsi que les planchers et plafonds, c'était une ruine on ne la reconnaît pas !...
Je travaille toujours à Lyon dans une maison bourgeoise, c'est ma neuvième année dans la même famille, j'ai vu grandir les enfants de mes patrons mais je sais tenir mes distances... Je suis employée à faire le ménage et la relation avec ma patronne est paternaliste mais pas familière .
Ma soeur Carmen est gouvernante dans une autre famille apparentée, chaque Dimanche jour de congé nous nous réunissons chez ma soeur cadette qui travaille au Crédit Lyonnais, elle loue un petit appartement rue Bossuet, il n'y a pas d'ascenseur, la montée d'escalier est sombre, il faut grimper quatre étages et les toilettes sont sur le palier, c'est plus pratique qu'à la campagne et ma soeur est indépendante, pas comme nous qui logeons chez les patrons. Nous allons quelquefois au cinéma, c'est tellement nouveau.
On aime aussi faire les magasins du côté de la place Bellecour et parfois arpenter la Croix Rousse ou le quartier St Jean.  Parfois on va à la messe à St Pothin, c'est que des bourgeois et on se sent perdu avec ces gens qui ne sont pas de notre milieu ! Quand nous avons l'autorisation de rentrer tard, nous traînons sur les quais de la Saône ou du Rhône.
Et un jour, Jean est venu exprès pour me voir, on a passé une journée formidable, il y a eu des baisers et des désirs refoulés; Joseph était avec lui , il est très proche de Carmen, il sera peut-être mon beau-frère.
Malgré nos rires, je repense parfois au grand'père : était-il un enfant de la violence ou était-il un enfant de l'amour! Pourquoi donc cette honte dans notre famille !