23 01 1968

La vie sauve je ne l'aurai pas , tant pis pour moi, cancer ou autre maladie, c'est kif kif je ne peux guérir. J'ai pas besoin de le voir ce foie pour savoir: ou bien un foie cirrhosé de lapin ou bien le foie dur et rétréci des alcooliques. C'était bien la peine de boire qu'un peu d'eau...c'était bien la peine de n'avoir jamais connu l'ivresse. Et pourtant, je comprenais que dans cette vie sinistre avec ses deux guerres atoces, on puisse se doper à l'alcool. Paraît-il qu'il existe des drogues, des plantes mais dans notre monde paysan on ne connais pas ça, alors les femmes se dopent aux liqueurs et au café !
Tout s'est perdu dans notre vie de paysan aimant le progrès. Il n'y a plus de veillée, il n'y a plus de chanson, il n'y a plus de musique, il n'y a plus de bal de campagne, il n'y a plus de vogue, il n'y a plus de kermesse, il n'y a plus de repas de vendange, de moisson, de battage, d'enterrement. Le travail se fait vite avec le tracteur; mais c'est une folie: chaque paysan achète un gros tracteur alors qu'un seul pourrait travailler toutes les terres de la commune. Que de gaspillage !      La télévision ça a bien commencé, la machine à laver j'en ai profité depuis longtemps mais le frigo pour moi seule je n'en voyais pas l'utilité, j'ai peut-être eu tort si j'avais modernisé la maison mes enfants seraient venus plus souvent mais tout est resté comme les années d'après guerre où nous avions décidé de restaurer la pièce principale de la maison. Maintenant après vingt ans, la peinture est écaillée, le plafond est plein de toiles d'araignées, la maison est froide et humide avec ce poêle à bois qui date de 1930, heureusement je me suis dépannée avec le radiateur électrique . A quoi bon refaire cette maison si je suis seule à y habiter mais malgré ma santé fragile je ne serai jamais allée en maison de retraite. J'étais habituée par mon enfance au manque de confort, au froid, à l'humidité, à la frugalité, pas besoin de chercher à faire un régime ...
Je m'ennuyais, mes filles ne pensaient pas à m'apporter de la lecture, des journaux, des revues. Mon fils, je préférai quand il n'était pas là !