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El Morjène
25 octobre 2007

Décembre 1949

On me donne la parole, je la prends, je sors de mon silence moi le rescapé de cette guerre de 14, moi l'homme de la terre silencieux, l'homme des labours, l'homme des semailles, l'homme du labourage en profondeur, l'homme du sarclage...
Je suis celui qui n'a pas de mot pour parler et pour écrire, peu de vocabulaire savant mais tant de sensations. 
Je ne suis pas l'homme bestial, arriéré, inculte, sale dont parle les bourgeois. Mon rêve c'était une femme, une famille, une ferme, je n'ai pas réussi plus que les autres ni moins que les autres, je ne fais pas de comparaison. Je ne cours pas après une voiture, un permis de conduire, je verrai plus tard !
J'aime bien me retrouver avec mes copains d'avant la guerre de 14, ceux qui restent sur des millions de morts, nés avant ce siècle nous sommes pas très nombreux; c'est seulement avec eux qu'on peut parler de ceux qu'on a laissé dans l'est de la France.
Avec mes frères, c'est les bagarres,  les jalousies et les mesquineries, les guerres ne leur ont rien appris, ils disent que je suis privilégié car j'ai gardé les terres du bas bien plates, ils oublient qu'elles sont inondables.
Avec le voisin c'est parfois des chinoiseries, il déplace les bornes ancestrales de limite et il faut aller chercher des témoins pour tout remettre en place. Je soupçonne que l'autre voisin à couper les asperges dans mon champ mais je n'ai pas de preuve donc je ne dirai rien.
J'aime les cafés, j'aime oublier le cauchemar des guerres dans la boisson, nous buvons tous plus ou moins mais moi j'ai le vin mauvais, je le supporte mal et je cherche des noises à ma femme; c'est elle qui      prend !
Que sait elle de la vie, elle la bavarde, qui sait toujours tout, qui a une opinion sur tout, qui veut tout commander, qui veut tout juger.
Je déteste que ma femme me juge car elle n'a pas passé où je suis passé, elle ne sait rien de ma vie, elle n'a rien vu, rien entendu de ce qu'on vivait : hommes éventrés, chairs sanguinolentes, têtes fracassées, bras ou jambes arrachés, boue sale, poisseuse ou gelée, pieds ou mains gelés, puanteur des cadavres et le plus terrible les plaintes des agonisants, les cris, les hurlements et le dilemme quand on prenait la décision de les achever et aussi les coups de fusil pour les camarades déserteurs.
Que sait elle de la " gnôle " qu'on nous obligeait à boire pour nous faire sortir de la tranchée et aller à l'attaque. Et le bruit des balles qui sifflaient dans les oreilles, je ne peux l'oublier !

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