Les gros travaux

Pour les gros travaux, c'est à dire trois ou quatre fois dans l'année, je redevenais doux avec mes autres frères car j'avais besoin d'eux.
Pour les moissons, il fallait sortir la moissonneuse que nous avions acheté en commun, il fallait la mettre en marche et la faire traîner par des chevaux et on devait s'entendre, ça allait doucement, on ne pouvait pas moissonner de partout à la fois. Pour lier les gerbes, chaque famille se débrouillait seule.
Pour la batteuse, c'était un boulot fou, on cherchait tous les voisins et on allait leur aider chez eux. Pour cette corvée, je refusais d'aller chez mon frère du bas.
Pour les vendanges, il fallait récolter assez vite, mettre le raisin dans les bennes puis le transvaser dans la cuve. Après, c'était le danger... le foulage du raisin avec les pieds, beaucoup sont morts mais il n'y avait pas d'autre moyen pour faire le vin. Alors, chaque paysan faisait le foulage lui-même, on ne faisait pas prendre de risque aux autres.
Et il y avait la grande toile cirée qui restait toujours chez mon frère notre voisin, même si on se parlait pas, on se prêtait cette toile cirée pour faire manger 12 hommes et parfois plus.
J'aimais bien ces grands banquets, on buvait beaucoup et les ripailles duraient quinze jours.
Quinze jours où on oubliait la guerre si proche dans notre souvenir, quinze jours où on oubliait qu'on allait mourir !

C'est moi qui vais chez mes oncles chercher la grande toile cirée et puis quand la batteuse est en marche, c'est moi qui sert le vin pour faire boire les hommes ; ça ne m'ennuie pas !